Résumé
Le sport de haut niveau n’existe pas dans l’actuel débat sur les retraites. Il est vrai que la question ne se pose pas véritablement pour les sportifs professionnels qui sont salariés par leur club ; du moment qu’ils sont en activité, ils cotisent pour leur retraite.
Par contre, la problématique est réelle pour l’immense majorité des sportifs de haut niveau évoluant dans un sport individuel, c’est-à-dire pour la plupart des disciplines olympiques. Peu d’entre-eux sont professionnels, et le dispositif compensatoire mis en place par l’État depuis 2012 est limité dans la durée et ne concerne à ce jour que 10% environ des sportifs de haut niveau.
La professionnalisation de ces sportifs, au travers d’un contrat de travail porté par leur club, est la solution préconisée par l’Union Nationale des Sportifs de Haut Niveau. Expérimenté avec succès dans une fédération et une collectivité, ce dispositif se fonde sur une réorientation des flux financiers existant au service d’un statut clair, protecteur et conforme à l’activité réelle du sportif.
Dans l’actuel débat sur les retraites, le cas des Etoiles de l’Opéra de Paris fait bien plus la Une que celui des sportifs de haut niveau et/ou sportifs professionnels. Difficile pourtant de ne pas comparer ces deux activités qui relèvent incontestablement d’une pratique de très haut niveau et où les contraintes physiques sont telles que les corps sont définitivement marqués.
Il est vrai que l’antériorité du régime de retraite de l’Opéra de Paris – il date de Louis XIV – précède de quelques siècles le développement du sport de haut niveau, mais aussi, qu’aux yeux du grand public, il n’y a clairement aucune légitimité à s’interroger sur le régime de retraite de sportifs professionnels dont une partie – certes minoritaire mais c’est elle qui concentre les regards et l’intérêt médiatique… – gagne des sommes astronomiques durant leur carrière.
Il est donc utile de bien préciser le sujet. La question du régime de retraite des sportifs professionnels ne se pose pas véritablement car, quel que soit leur niveau de revenu, ceux-ci sont rémunérés essentiellement comme salariés tout au long de leur carrière. Il s’agit majoritairement des sportifs pratiquant
un sport collectif – football, rugby, handball, basket-ball, volley-ball, hockey-sur-glace – et de cyclistes évoluant dans une équipe professionnelle, qui cotisent donc de façon classique au régime général.
Cependant, contrairement aux danseuses et danseurs de l’Opéra, ils ne toucheront une pension qu’à la fin de leur(s) activité(s) professionnelle(s), à l’âge légal de la retraite. Rien de scandaleux à cela, même si une bonne partie des sportifs professionnels ont après 40 ans des séquelles physiques comparables à ceux des Etoiles.
Les sportifs de haut niveau bien moins lotis que les sportifs professionnels.
Mais les sportifs professionnels sont loin d’être majoritaires, notamment parmi les sportifs de haut niveau (SHN) listés par le ministère des Sports. Ainsi, sur les 4872 SHN listés en 2018-2019, environ 410 (soit 8,5%) sont considérés comme professionnels par le ministère. Dans la plupart des sports individuels qui sont également les sports olympiques, la majorité des sportifs n’accèdent donc pas à un statut professionnel et dès lors ne peuvent pas cotiser pour leur retraite au titre de leur activité sportive.
Face à ce décalage notamment lié à l’entrée tardive de ces sportifs de haut niveau sur le marché de l’emploi, l’État a mis en place depuis le 1er janvier 2012 un dispositif de compensation pour les trimestres non cotisés par les SHN, sous certaines conditions d’âge, de ressources et pour un nombre limité de trimestre. Cette mesure, considérée comme le « premier jalon de l’instauration d’une couverture sociale pour les sportifs de haut niveau » a bénéficié à 495 sportifs en 2017, pour un coût de l’ordre de 1,9 million d’euros.
Ce dispositif ne peut en aucun cas être considéré comme un régime spécial de retraite. Il s’agit d’une mesure compensatoire qui semble pour le moins légitime vu l’investissement de ces sportifs. Elle a d’ailleurs été complétée en 2016, avec la prise en charge par l’État des cotisations sociales – accidents du travail et maladies professionnelles – des sportifs inscrits sur les listes de haut niveau. Pour l’État, le coût de ces mesures est important – 5,5 millions d’euros en 2017 -, et il va logiquement augmenter avec le nombre de SHN qui, avec le temps, vont bénéficier de trimestres de retraite.
Pour autant, ces mesures de couverture sociale apparaissent essentielles. En 2015, 75 % des sportifs de haut niveau étaient encore non-salariés, et donc pas couverts en cas d’accident, et en 2016 la moitié des 450 Français qualifiés aux JO de Rio vivaient avec moins de 500 euros par mois. Il est donc parfaitement légitime d’œuvrer à améliorer la situation des sportifs de haut niveau et force est de reconnaître que la loi de 2015 sur le sport a produit des avancées.
Mais sur la question des retraites, le compte n’y est manifestement pas, encore moins si on revient à notre comparaison avec les danseuses et les danseurs de l’Opéra de Paris. Certes 495 SHN ont bénéficié en 2017 de trimestres cotisés, et ce nombre ne va cesser d’augmenter. Il est pourtant utile de rappeler qu’il y a chaque année autour de 5000 sportifs inscrits sur les listes de haut niveau, 14 000 si l’on rajoute les Espoirs et les Collectifs nationaux. De plus, la durée moyenne d’une carrière sportive est de 8 ans, mais uniquement 4 années peuvent être retenues pour la retraite ! Bref, au final, seule une minorité de sportifs de haut niveau vont bénéficier d’une retraite en relation directe avec leur carrière sportive, et par la force des choses, l’immense majorité de ceux qui ont fortement investis pour la haute performance et ont été listés ne parviendront pas à atteindre le nombre d’annuité nécessaire pour toucher une pension complète.
Les Jeux Olympiques de Paris 2024 et la volonté d’améliorer la situation des SHN.
L’attribution à la France de Jeux Olympiques 2024 a créé un élan dont tout le mouvement sportif espère bénéficier, et en premier lieu les sportifs concernés. La volonté de mieux soutenir financièrement les médaillés potentiels lors de cet événement a été actée, notamment par le manager général de la haute performance à la nouvelle Agence du Sport, Claude Onesta. Le passage de 3000 à 6000 euros des bourses aux sportifs a été confirmé, mais sans pour l’instant avoir trouvé les modalités de mise en œuvre.
L’intention est naturellement louable, mais le simple emploi du terme de « bourse » laisse pourtant envisager le caractère à la fois provisoire et non statutaire de cette proposition. Dit autrement, une telle mesure, conçue sous la forme de bourse, n’aurait aucun impact sur la future retraite des sportifs.
La proposition de l’UNSHN : une couverture sociale pour le plus grand nombre sans surcoût
Une des solutions, qui aurait l’avantage à la fois de permettre de mieux soutenir les potentiels 2024 et de limiter les coûts du dispositif spécifique mis en place par l’État pour les SHN serait de développer la professionnalisation de ces sportifs.
Dès le Rapport Karaquillo, et encore récemment lors de ses auditions à l’Assemblée Nationale, au Sénat et au Conseil d’État, l’Union Nationale des Sportifs de Haut Niveau (UNSHN) a formalisé des propositions concrètes pour permettre une professionnalisation quantitative des sportifs de haut niveau, notamment ceux pratiquant des disciplines individuelles. La principale modalité consiste à mutualiser les différents revenus du sportif par l’intermédiaire de son club, qui devient son employeur. Les avantages sont indéniables. Le sportif est rémunéré – et couvert – pour ce qui est effectivement son activité principale, le sport de haut niveau. Il s’acquitte des différentes cotisations sociales (retraite, accidents du travail et maladies professionnelles) en bénéficiant du très bon système français de sécurité sociale. Les liens avec son club sont renforcés. Enfin, ce dispositif ne l’empêche pas d’avoir des contrat(s) d’image avec une ou plusieurs entreprises.
Ce dispositif a été expérimenté avec succès depuis 2007. D’une part, à la Fédération Française d’Athlétisme avec la création de la Ligue Nationale d’Athlétisme, considérée en 2015 par J-P Karaquillo comme l’axe de professionnalisation « manifestement le plus structuré et le plus abouti du mouvement sportif français, et (qui) mériterait sans doute d’être transposé à d’autres disciplines placées dans des conditions analogues à l’athlétisme ». D’autre part, depuis 2012, dans un territoire avec le dispositif Moselle Sport Académie qui a permis de professionnaliser une trentaine de sportifs du département de la Moselle issue d’une douzaine de sports différents (natation, lutte, badminton, tennis-de table, etc).
Cette professionnalisation « par le club » apparaît non seulement comme un dispositif qui correspond davantage à la situation réelle du sportif, le protège mieux, mais aussi coûte moins cher à l’État en couverture sociale et en cotisations retraite, puisque les sportifs de haut niveau professionnels n’ont pas besoin de ces assurances sociales financées par le ministère des Sports (respectivement depuis 2012 et 2016) puisqu’ils cotisent par ailleurs.
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En plein débat sur les retraites et sur la recherche de solutions pour pérenniser un système sans dégrader la qualité de vie, il peut sembler intéressant de se pencher sérieusement sur cet axe de professionnalisation des SHN. Certes, l’intérêt de grandes entreprises pour les sportifs de 2024 sature actuellement l’espace médiatique avec la multiplication des engagements d’accompagnement de sportifs, essentiellement sous la forme de CIP ou de bourses. Mais cet élan conjoncturel s’inscrit clairement dans la perspective des Jeux à Paris en 2024. Qu’en sera-t-il à partir de 2025 ?
A l’heure où, au travers du débat sur les retraites, nous nous projetons sur les décennies à venir, il pourrait être bienvenu que cette réflexion irrigue le monde du sport de haut niveau en travaillant à des
solutions qui ne sont pas celles d’hier ou fondées sur un modèle économique, celui du football professionnel, qui est unique.
La professionnalisation, au-delà des avantages déjà exposés, est un système qui peut s’inscrire dans la durée, procurer un véritable statut aux sportifs, améliorer leur qualité de vie durant leur carrière, contribuer à leur future retraite, mais aussi participer à la structuration des clubs, le tout en accueillant avec plaisir les soutiens d’entreprises intéressées par l’image des sportifs.
De plus, au regard des expériences concrètes menées à la Fédération Française d’Athlétisme et dans le département de la Moselle, l’Union Nationale des Sportifs de Haut Niveau, estime que plusieurs milliers
de sportifs de haut niveau dans les sports individuels pourraient être concernés par une professionnalisation à temps plein ou à temps partiel portée par leur club.
Cette solution aurait le mérite de résoudre une partie non négligeable de la question des retraites pour de nombreux sportifs de haut niveau, tout en contribuant de façon substantielle à une dynamique structurante pour les clubs et les sports concernés.
Bertrand Hozé, directeur de l’UNSHN